Le 12 mai 2025, le Centre Cultural La Nau de l’Université de Valencia a accueilli une figure incontournable de la pensée contemporaine espagnole : Fernando Savater. Philosophe, écrivain, traducteur et infatigable pédagogue, Savater a offert au public un moment rare, en forme de déclaration d’amour à la culture française. Cette conversation, animée par Paul Pierroux-Taranto, rédacteur en chef de Lepetitjournal.com en Espagne et président de La Base Culture – Maison des francophonies, a permis de retracer un itinéraire intellectuel profondément marqué par l’influence de la France.


J’ai plus de livres en français qu’en espagnol dans ma bibliothèque.
_ Fernando Savater
Tout commence au Pays basque, dans la maison familiale, avec une gouvernante française. C’est par elle que le jeune Fernando découvre non seulement les rudiments du français, mais aussi une sensibilité nouvelle au monde des mots, des idées, de la fiction. Les premières lectures ? Tintin, bien sûr, dévoré à Biarritz. Puis, bien des années plus tard, viendront Voltaire, Diderot, Mme du Deffand, Sartre, Beauvoir, Bataille, Clément Rosset, Cioran… Un panthéon personnel qui irrigue l’œuvre de Savater depuis ses débuts.
Revivez la rencontre avec Fernando Savater à Valencia :
Lire pour résister, traduire pour exister
Savater raconte ses premiers pas de traducteur, souvent précaires, toujours passionnés. Sans filet, il se lance dans l’adaptation d’auteurs complexes tels que Voltaire ou Cioran. Cette expérience le forme profondément : traduire, explique-t-il, ce n’est pas simplement transposer des mots, c’est recréer un univers de pensée et de nuances.

Le français, pour lui, est aussi une porte d’accès à des textes censurés sous le franquisme. « J’ai découvert Sartre, Simone de Beauvoir, mais aussi Borges… en français ! Les premières œuvres de Borges, je les ai lues dans la traduction de Roger Caillois.» Une langue refuge, mais surtout une langue de liberté.

Fernando Savater, une vie en français
Tout au long de la soirée, Fernando Savater déroule le fil d’un souvenir collectif : celui d’une Espagne où la culture française était un phare, une boussole, presque une seconde langue pour les esprits en quête d’élévation. « Il fut un temps, confie-t-il, où tout jeune intellectuel espagnol se devait d’avoir lu Sartre, Camus ou Valéry. » Un soleil révolu ?

Aujourd’hui, les passerelles s’inversent : les auteurs espagnols s’exportent davantage, les traductions affluent vers Paris. Mais l’influence tutélaire de la pensée française sur les intellectuels ibériques s’est dissipée, comme un parfum oublié.
Un constat lucide, mais pas amer : Savater invite à renouer avec cette tradition de dialogue, à cultiver cette « romance intellectuelle avec la France » qui est pour lui une source inépuisable d’enrichissement.

Lire en français m’a offert une autre vie.
Avec l’ironie légère qu’on lui connaît, Savater élargit le champ de la réflexion : le rôle de la philosophie dans l’éducation — qu’il juge essentiel dans une époque saturée de vitesse et d’informations —, mais aussi l’art de vivre à la française. La gastronomie, le vin, le plaisir de la conversation… autant de dimensions concrètes qui complètent une certaine idée du bonheur français.

Organisé par La Base Culture – Maison des francophonies avec le soutien du cabinet d’avocats international Delaguía y Luzón, l’événement s’inscrivait dans le cadre de l’Escola Europea de Pensament Lluís Vives de l’Université de Valencia. Il s’est clôturé comme il se doit : autour d’un cocktail où les fromages de tradition dialoguaient avec les vins du terroir valencien, dans un ballet de saveurs et de langues !

Un moment suspendu, fait de conversations improvisées, de rires partagés, de ponts jetés entre deux cultures qui n’ont jamais cessé de se séduire. Une soirée à l’image de Savater lui-même : libre, curieuse, infiniment vivante.

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