Face à la crise de l'accès au logement, le gouvernement espagnol dégaine une nouvelle salve législative. Dans le viseur du PSOE : les locations touristiques de courte durée, qui verraient leur TVA grimper à 21 %, et les acheteurs étrangers hors Union européenne, visés par un impôt inédit. Des mesures explosives, censées soulager le marché résidentiel, mais qui inquiètent le secteur.


Deux ans après sa grande loi sur le logement, le gouvernement espagnol relance l’offensive. Ce jeudi 22 mai, le groupe socialiste a déposé au Congrès une nouvelle proposition de loi pour freiner l’impact du tourisme sur l’immobilier résidentiel. Au programme : TVA à 21 % sur les locations de courte durée et impôt ciblé sur les acheteurs non européens. Des mesures qui marquent un net virage dans la politique du logement, et suscitent de vives réactions.
Coup de massue fiscal sur les locations touristiques en Espagne
Les locations de courte durée n’y couperont plus. Alors qu’elles échappaient jusqu’ici à la TVA lorsqu’aucun service hôtelier n’était proposé, ou bénéficiaient d’un taux réduit de 10 % en cas de prestations touristiques, le gouvernement entend les soumettre au taux plein de 21 % dès lors qu’elles durent moins de 30 nuits. Une mesure qui vise directement les logements loués à la nuitée ou à la semaine, symboles des tensions sur le marché du logement.

Seules les communes de moins de 10.000 habitants seraient épargnées, l’exécutif estimant que le tourisme peut y jouer un rôle économique positif. Pour le reste du territoire, l’objectif est clair : réduire la rentabilité des plateformes de type Airbnb pour favoriser un retour de ces logements sur le marché traditionnel de la location longue durée.
Une logique qui anticipe la directive européenne prévue en 2028, qui permettra aux États de taxer les locations de courte durée dans les zones où elles nuisent à l’accès au logement.
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Le PSOE veut taxer à 100 % les achats immobiliers des étrangers hors UE
Autre mesure-choc : taxer l’achat de logements par les étrangers non européens. Avec un nouvel impôt baptisé « complémentaire national sur la transmission de biens immobiliers à des non-résidents de l’UE », l’exécutif entend alourdir la facture pour ceux qui acquièrent un bien en Espagne sans y résider. Le texte prévoit un impôt complémentaire dont le taux brut serait de 100 % de la valeur du bien – une mesure qui, sans exonérations, pourrait doubler le coût fiscal de l’opération pour les non-résidents de l’Union européenne.
Le dispositif ne s’appliquerait ni aux ressortissants de l’UE – protégés par la libre circulation – ni aux professionnels qui achètent dans le cadre de leur activité, à condition qu’ils soient déjà assujettis à la TVA. Le Pays basque et la Navarre, dotés de régimes fiscaux autonomes, seraient aussi exemptés.
L’intention affichée ? Freiner l’appétit des acheteurs fortunés, souvent concentrés sur les biens de luxe en bord de mer ou dans les grandes villes. En 2023, les étrangers ont acheté plus de 93.000 logements en Espagne, soit près de 15 % des transactions. Les non-Européens, eux, représentent environ 5 % du marché, mais pèsent lourd sur le segment haut de gamme : la moitié des achats de plus de 500.000 euros leur revient.
Les locations temporaires ciblées, des sanctions à la clé
La proposition de loi ne s’arrête pas aux locations touristiques de courte durée. Le PSOE veut aussi mettre de l’ordre dans les baux temporaires, ces contrats compris entre 31 jours et 12 mois, souvent utilisés comme alternative aux règles sur les locations classiques. Désormais, ils devront respecter les plafonds de loyers dans les zones tendues et être déclarés dans un registre européen.
Et pour ceux qui s’y soustraient, l’addition pourrait être salée. Le texte prévoit un durcissement net des sanctions :
- jusqu’à 600.000 euros pour les infractions très graves,
- 30.000 euros pour les graves,
- 3.000 euros pour les légères.
Où en sont ces réformes ?
Une proposition… n’est pas encore une loi. Déposée au Congrès par le groupe socialiste, cette batterie de mesures n’est pour l’instant qu’une proposition de loi, qui devra franchir toutes les étapes du parcours parlementaire : discussion en commission, amendements, vote en plénière, puis passage au Sénat. Le PSOE, sans majorité absolue, devra compter sur ses alliés de gauche pour faire avancer le texte.
Le secteur touristique monte au créneau
Quoi qu’il en soit, l’annonce a fait bondir les professionnels du tourisme et de l’immobilier. Pour la CEHAT, l’association qui regroupe plus de 16.000 établissements touristiques en Espagne, la hausse de la TVA risque de flouter les lignes entre les types d’hébergement et de pénaliser des acteurs déjà en règle. Elle plaide pour une application plus juste et pour que les activités non déclarées soient mises au pas.
Du côté des consommateurs, Asescon redoute que la facture ne retombe sur les voyageurs, sans effet notable sur l’offre de logements à long terme. Dans le secteur, certains s’inquiètent aussi de voir les investissements ralentir et des emplois disparaître, en particulier dans les zones les plus touristiques d’Espagne.
Hausse d’impôts, foncier public, logements vacants… l’offensive s’intensifie
D’ailleurs, le tour de vis ne se limite pas aux touristes de passage ni aux acheteurs venus de l’étranger. La proposition de loi du PSOE élargit le spectre avec une série de mesures destinées à resserrer les mailles du filet immobilier.
Parmi elles : une hausse de l’imposition des socimis, ces sociétés cotées qui investissent dans la pierre, de 15 à 25 % si elles misent sur le résidentiel. Le gouvernement veut aussi faire payer plus cher les logements vacants, pour les pousser à revenir sur le marché.
Autres leviers : la prolongation jusqu’en 2025 des déductions fiscales pour les rénovations énergétiques, et la mobilisation du foncier public, via la société Sepes, pour faire émerger de nouveaux logements à prix accessibles.
Pour l’exécutif, l’urgence ne fait plus débat. L’Espagne accuse un déficit de 400.000 à 450.000 logements, selon la Banque d’Espagne. Bruxelles trace la ligne, le gouvernement espagnol s’en empare pour frapper plus fort. Reste à voir si ce coup de règle résoudra la pénurie… ou si c’est encore le marché qui prendra la tangente.
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