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Interview avec Martin Provost : " J'ai un lien particulier avec la Suède"

Dans cette interview, le réalisateur de Séraphine revient sur les origines de son nouveau film Bonnard, Pierre et Marthe. De la genèse du projet née d’un confinement au bord de la Seine jusqu’à un tournage entre tension et grâce, Martin Provost évoque le couple énigmatique qu’il met en lumière, ses choix d’acteurs inattendus, son admiration pour Bergman… et ce lien viscéral qu’il entretient avec la peinture, la mémoire et les femmes oubliées de l’Histoire.

Le réalisateur Martin Provost au Nationalmuseum de Stockholm lors de l'exposition "Bonnard och norden".Le réalisateur Martin Provost au Nationalmuseum de Stockholm lors de l'exposition "Bonnard och norden".
Le réalisateur Martin Provost au Nationalmuseum de Stockholm lors de l'exposition "Bonnard och norden". © Fabienne Roy
Écrit par Fabienne Roy
Publié le 30 avril 2025, mis à jour le 19 mai 2025

 

Pour commencer, on va revenir sur le film, pourquoi avoir réalisé ce film, quel a été l’élément déclencheur ?

Martin Provost : Alors des éléments déclencheurs, il y en a eu plusieurs, le premier qui n’est pas un élément déclencheur est une rencontre. Elle a eu lieu peu de temps après la sortie de Séraphine, ce film que j’ai fait qui a été un beau succès, très récompensé, qui est sorti dans le monde entier dans les années 2008. Donc j’ai été contacté par cette dame qui s’appelle Pierrette Vernon, qui est la petite nièce de Mme Bonnard, parce qu’elle voulait que je réalise un film sur sa grande tante, elle trouvait que Marthe n’avait pas la place qu’elle méritait dans l’histoire de l’art. Je suis allé chez elle. Il y avait des Bonnard partout sur les murs.

 

 

Tableau Chiens Marthe Bonnard
Peinture de Marthe, présentée à l´exposition "Bonnard och Norden ". © Fabienne Roy

 

Elle m’a montré un petit tableau de Marthe, parce que Marthe peignait aussi. Je n’ai pas été bouleversé par le tableau et puis j’avais aucune envie de refaire un film sur la peinture, je sortais de Séraphine, j’avais d’autres projets donc j’a été très poli, j’ai dit ai revoir puis j’ai oublié. Et il se trouve que pendant le confinement, je vis dans un endroit très beau, qui est à quelques kilomètres de la fameuse roulotte où habitait Pierre Bonnard, juste à côté de la première maison de Claude Monet avant qu’il s’installe à Giverny qui est à 3 kilomètres, j’habite au bord de la Seine et toujours quand je rentre chez moi je me dis, quelle chance j’ai, je vis dans un tableau de Bonnard !

 

Bonnard, ce serait peut-être le moment de m’intéresser à Marthe Bonnard !

 

On était donc confiné, enfermé dans la maison, j’ai ouvert les fenêtres et je me suis dit mais Bonnard, Bonnard, ce serait peut-être le moment de m’intéresser à Marthe Bonnard ! J’ai pris un livre sur Bonnard à la bibliothèque, je l’ai ouvert et là pour la première fois, je me suis rendu compte que sur tous les tableaux qui représentaient Marthe, on ne reconnaissait jamais son visage.

Je savais, Pierrette m’avait un petit peu raconté et je m’étais un peu documenté sur l’histoire de Marthe, qu’elle avait menti sur son identité, que Pierre Bonnard finalement a passé sa vie avec une femme, dont il ne connaissait pas la vie, dont il ne connaissait pas les origines. Elle s’était faite passer pour une princesse italienne ruinée alors qu’elle venait du bérique. On pense qu’elle a été violée par son père. Il y avait une histoire très lourde, très pauvre, on pensait qu’elle était un peu prostituée sur les bords. Elle a initiée Pierre à la sexualité. On pense que oui, ce n’était pas un enfant de chœur, Marthe.

 

Pierre Bonnard

 

Et je me suis dit, c’est intéressant comment dans sa peinture-même, Bonnard montre qu’il ne sait pas qui elle est et je me suis dit tiens là j’ai un sujet. Ce n’était pas Marthe Bonnard, c’était Pierre et Marthe, c’est pour cela que le film s’appelle ainsi, et quelle place tient une muse, cette fameuse appellation qui cache quand même beaucoup d’arrières plans sur qu’est-ce que c’est d’être une femme à cette époque-là, qu’est-ce que c’est de ne pas avoir de ressources, qu’est ce que c’est de dépendre d’un homme, qu’est ce que c’est représenter la femme aux yeux d’un peintre. C’est comme les modèles aujourd’hui, plutôt les mannequins, c’étaient des places très enviées. Je tenais un vrai sujet surtout autour d’un mystère qu’est le mystère Marthe, cette femme qui a menti toute sa vie à l’homme qu’elle aimait, pour rester avec lui.

 

Pour revenir sur les personnages du film, comment avez-vous choisi les acteurs ?

Alors Vincent Macaigne j’avais un autre projet avec lui, et ce n’est pas facile de jouer Pierre Bonnard et c’est jamais facile d’incarner quelqu’un qu’on connait. Parce que Pierre Bonnard, en France, c’est un visage, une silhouette qu’on connait, cet homme très maigre, très sec avec son bonnet enfoncé sur la tête. En France, c’est une image très connue de lui. Marthe, personne ne savait qui c’était donc là j’étais plus libre mais Pierre c’était un vrai problème.

J’avais un autre projet avec Vincent Macaigne et c’est vrai que quand j’ai commencé à dire à mes producteurs que j’aimerais bien que ce soit Vincent Macaigne, ils m’ont regardé avec des yeux ronds parce que Vincent est plutôt rondouillard et j’ai dit oui mais moi je sais qu’il peut y arriver. Finalement, mes producteurs ont accepté, Vincent était fou de joie et je l’ai mis au régime ce qui n’était pas une mince affaire parce qu’il était un petit peu laxiste de ce côté-là. Il l’a fait merveilleusement, il a réussi quelque chose d’extraordinaire et qu’il l’incarne pleinement.

 

Vincent Macaigne en Bonnard
Vincent Macaigne incarnant Pierre Bonnard

 

Et Marthe, cela a été tout un cheminement parce que le film a mis du temps à se faire, c’est compliqué de faire des films comme ceux-là, difficile à financer et Cécile de France s’est imposée parce que j’avais une autre actrice un moment qui a quitté le film, qui voulait plus le faire. Je me suis dit à un moment, mon film ne va pas se faire. C'est ma casting, Brigitte Moidon qui m'a dit tu devrais rencontrer Cécile de France. Cécile elle est grande, elle est blonde, je lui ai dit mais enfin elle n’a rien à voir avec Marthe et pour moi elle était trop âgée.

Et j’ai rencontré Cécile et c’est vrai que quand je l’ai vu, je me suis dit qu’il y avait une qualité de luminosité, de lumière intérieure qui transpirait d’elle et c’était une évidence, j’ai su que c’était elle. Et je me suis dit pourvu qu’elle dise oui. Elle m’a appelé une semaine après en me disant qu’elle ne pouvait pas dire non à l’homme qui avait fait Séraphine. Ni elle, ni moi ne l’avons regretté parce qu’on a eu un bonheur fou à travailler ensemble et elle est exceptionnelle dans le film.

 

 Cécile de France incarnant Marthe Bonnard
 Cécile de France incarnant Marthe Bonnard

 

Justement on va parler du tournage, pouvez-vous raconter un des meilleurs moments de ce tournage et aussi ce qui a été le plus difficile ?

Un moment à noter que je raconte à chaque fois parce que c'est cela fait partie des moments comme ça, dans un film où la grâce est là, envers et contre tout. C'est la scène de la fin, le plan de la fin. Quand Pierre est chez lui au Cannet, se remet à peindre et il entend la voix de Marthe qui sort de la couleur en fait. Et on a un plan subjectif comme ça, où on voit la caméra qui descend les escaliers, se retrouve dans la roulotte, dans cette maison des origines où il a été très heureux avec elle. Il faut savoir que Marthe est morte, qu'il est tout seul, qu'il est au seuil de sa vie, lui aussi, il va mourir deux ans après et il peint ce dernier tableau qui est l'Amandier dont j'ai toute une allégorie autour de l'amandier qui refleurit, va refleurir, tout ça, évidemment, je l'ai inventé. Et j'ai ce plan à la fin où Marthe est toute nue sur l'autre rive, de l'autre côté de la Seine, et lui fait des signes et l'appelle.

En fait, il traverse avec la barque, et c'est l'Achéron en fait. Il la rejoint dans l'Au-Delà. Et là, j'ai un plan. J'en ris encore, mais ça a été un cauchemar. On avait un quart d'heure pour tourner ce plan parce que je voulais que le soleil soit pile en face de la caméra. C'est un soleil couchant. On est à la pointe du Nil qui est devant chez moi, qui est une île qui s'appelle l'île de Moisson où Monet a peint.


Il y a des tableaux de Monet qui représentent exactement cet endroit-là. Si vous allez dans un catalogue de Monet, vous allez le retrouver. Et là, j'ai Marthe qui est toute nue au bord, au dessus de l'eau, et elle saute dans l'eau. On entend un grand plouf. Je peux vous dire que le jour où on a tourné, il n'y avait plus d'eau. Mais ça, on ne le sait pas. Tout ça est fait au son. Et Pierre tout nu qui la rejoint, qui saute aussi. Et quand on a fait ça, je me souviens que, au moment où j'ai dit allez, faut y aller, faut y aller parce qu'on va perdre le soleil. Marthe s'est mise là-bas. Comme ça c'était loin ! Et j'ai dit ma première assistante, là, je pense qu'il va falloir qu'on fasse un petit peu de palette graphique parce que Cécile est censée avoir 25 ans, là, et elle en avait 50, donc. Et Juliette, ma première sœur, me dit mais Martin, tu n'en auras pas les moyens de ça, tu pourras pas le faire. Il faut arrêter le tournage. Et alors je me mets en colère. Je vais voir. On fait. On fait une première répétition. Cécile saute. Il y avait des matelas en dessous avec un cascadeur parce qu'il l'avait fait tellement chaud cette année-là que la scène avait complètement baissé.


Quand on sautait, on sautait dans les orties plus du tout dans l'eau. Il y avait une doublure en bas qui se jetait à l'eau. Ça paraît rien comme ça quand vous voyez, c'est d'une complexité dingue. Et je vois que le type qui devait faire Pierre qui nage ne savait pas nager. Je le dis à Juliette. Mais non, il sait très bien nager. On l'a choisi. Je dis non, il ne sait pas nager. On fait un premier truc. C'était complètement raté parce qu'en effet, il ne savait pas nager. On s'engueule. Le directeur de production arrive, dit Il faut arrêter le tournage. Et je hurle, je dis non. On n'arrête pas. Parce que je savais que si je n'avais pas ce plan-là, je n'avais pas la fin du film. J'ai dit on tourne quand même, on y va. Moteur.

Et là, le soleil s'est comme mis au bon endroit. Cécile, il y a eu une espèce de de contrejour extraordinaire. Vincent est parti. Moi, je courais derrière le caméraman à côté et j'ai eu mon plan. Et ça a été un moment comme suspendu dans le temps après une engueulade féroce. Et c'est pour ça que c'est un aussi beau souvenir qu'un aussi mauvais. Parce que les deux étaient mélangés. Et on l'a refait après beaucoup mieux parce que c'est une doublure qui nage. Ce n’est pas Cécile qui nage et avec Cécile vraiment, qui se retourne et c'est complètement raté. Comme quoi. 

Il faut saisir l'instant.

Oui, c'est ça que j'aime au cinéma. C'est quand d'un seul coup la grâce est là et que quelque chose se passe qui est la somme de tout un travail. Parce qu'on avait tellement travaillé pour arriver à ça. C'est comme des accidents dans la vie, des rencontres merveilleuses. C'est aussi ça le cinéma. Je crois que c'est pour ça que j'en fais.

 

Pour revenir sur votre venue en Suède, donc pour la sortie du film en Suède, quel est votre lien avec la Suède et quelles sont vos premières impressions de ce voyage en Suède?

C'est la troisième fois que je viens en Suède. J'ai un lien particulier avec la Suède parce que Bergman a été très important pour moi. J'en parle d'ailleurs dans un livre qui est sorti en même temps que le livre sur sur le scénario, toutes les photos du film chez Phébus en France. Et en fait, je me souviens que j'ai vu Cris et chuchotements. J'avais seize ans et je venais de perdre un frère et donc évidemment, mes parents m'avaient laissé aller au cinéma avec ma sœur, c'était interdit au moins de 18 ans. J'ai pas du tout l'âge de rentrer. J'étais quand même rentré, j'avais vu le film et je me souviens de cette relation privilégiée que Hariett Anderson qui est en train de mourir avec cette femme. Je ne sais plus le nom de l'actrice Anna qui est la bonne et comment elle accueillait la mourante dans son lit. Elle entre dans le lit de la mourante et elle la prend dans ses bras. Et j'ai reproduit ces séquences dans mon film, donc c'est pour ça que je suis là. Et vous êtes la première personne à qui je l'ai dit.

Et il y a deux moments qui sont exactement les plans que Bergman a filmés dans Cris et Chuchotements, après que Marthe ait une crise d'asthme, il y a deux moments comme ça dans le film et Pierre la serre contre lui. Et il la dessine d'ailleurs la première fois et la deuxième fois aussi je crois, et elle a exactement la position d'Harriet Anderson dans le film de Bergman. Donc en effet, la Suède, pour moi, c'est Bergman.



"La première chose que je suis allé voir, c'était au théâtre de Bergman."


Enfin, pas que. Il y a Dreyer, il y en a, il y en a d'autres et ceux d'aujourd'hui. Mais je suis venu. Je me souviens la première fois pour présenter Séraphine. La première chose que je suis allé voir, c'était au théâtre de Bergman. Et oui, c'est un metteur en scène qui m'a marqué beaucoup.

 

Très bien, très intéressant. Pour finir, quels sont vos futurs projets ?

Je vais commencer un film en août, je tourne mon prochain film. C'est un film contemporain donc ça va être plus léger. C'est un film avec des femmes et un homme. Pour la première fois, je vois mon travail. Moi, c'est beaucoup autour des femmes. J'ai toujours pris la défense des femmes sans le savoir au début et j'ai beaucoup œuvré pour vous et avec vous.

Et c'est important de le dire parce qu'il n'y a pas beaucoup d'hommes qui sont conscients de ça et du chemin parcouru. Et là, ça me paraissait important de justement montrer : Qu'est-ce que c'est qu'être un homme aujourd'hui entouré de plein de femmes ? C'est Fabrice Luchini qui va jouer le rôle principal. C'est un prof de lettres qui prend sa retraite et qui rentre chez lui et sa femme est partie et il va se retrouver à être obligé, à 67 ans de se remettre sur le marché et de rencontrer des femmes. Il y a Emmanuelle Devos et Cécile de France à nouveau, et d'autres. Et c'est tout un parcours comme ça dans l'amour. Ça va s'appeler L'amour et la folie, la fable de La Fontaine.


Très bien, il est prévu pour quand ?

Il va sortir l'année prochaine. Puisque je tourne là, je pense qu'il sortira à l'automne de l'année prochaine.

 

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