Autrice et enseignante en région parisienne, Hanane Oulaïllah sort en 2025 Rouge Tangerine, son deuxième ouvrage, un recueil de six nouvelles traversées par la fatalité. D’origine franco-marocaine, elle a longtemps cultivé un lien intime avec le Maroc avant d’y poser ses valises pendant six ans, au début des années 2000. Lepetitjournal.com est allé à sa rencontre. Portrait d’une femme qui écrit le destin avec intensité.


Parfois, l’expatriation permet de reconnecter avec ses origines. Hanane Oulaïllah est franco-marocaine et a toujours vu le Maroc comme une terre de vacances. Mais lorsque l’occasion se présente de s’installer à Casablanca au début des années 2000, avec son mari, elle y voit l’opportunité unique de se rapprocher de ses origines. Journaliste de formation, elle intègre Atlantic Radio, station économique du groupe Éco-Médias. Cette immersion professionnelle se double rapidement d’un enrichissement personnel : « Cette expérience m’a permis de mieux comprendre la société marocaine, sa culture, sa littérature, sa sociologie… Tout ce qui me passionnait. Et la radio m’a offert un terrain d’expression idéal pour affiner ma plume », confie-t-elle.
Rouge Tangerine, un livre né d’une expatriation à Casablanca
« Aujourd'hui, je vis ce que j'appelle ma deuxième vie », partage Hanane Oulaïllah.
Enseignante en région parisienne, Hanane commence sa carrière dans le journalisme. Elle suit des études de réalisation de documentaires en Grande-Bretagne et affirme avoir toujours été attirée par « l’authenticité propre au genre documentaire ». Formée en presse écrite, documentaires filmés et radio, elle part s’installer à Casablanca, après son mariage. « Au début des années 2000, le Maroc s’ouvrait à de nombreux médias, notamment les radios. C’était une période riche, qui m’a permis de découvrir une société que je connaissais peu », confie Hanane. Passionnée d’écriture depuis l’enfance, elle estime que ces expériences ont affûté sa plume et renforcé son lien avec ses origines.

L’autrice revendique pleinement sa double nationalité, reflet d’une double culture. « Ce n’est pas une question de choisir un camp. On grandit avec les deux, et c’est cette richesse-là qui forge une identité », explique-t-elle. Nourrie par les valeurs transmises par ses parents et par l’éducation reçue en France, elle cultive un regard critique sur ses deux pays, la France et le Maroc, deux univers distincts mais profondément liés. Cette dualité traverse ses écrits, où elle donne voix à des personnages pris dans des récits marqués par la violence, les fractures sociales et les tiraillements intérieurs.
Une violence dénonciatrice pour faire réfléchir le lecteur
Les six nouvelles de Rouge Tangerine sont traversées par une violence omniprésente. Une violence dénonciatrice qui interroge et pousse à la réflexion. Elles abordent des thèmes d’une grande dureté, tels que le meurtre d’enfants, les agressions envers les femmes et des formes intenses de répression. « Ce n’est pas une violence pour choquer, c’est un regard sur ce que la vie peut parfois avoir de plus sombre : les injustices, les pertes, les failles humaines », exprime l’autrice. Elle aime poser une question centrale : que ferions-nous à la place de ces personnages ? Pour elle, la violence peut aussi devenir un langage artistique, mêlant dénonciation sociale et esthétique littéraire.
Certaines scènes de Rouge Tangerine naissent de réflexions ou d’observations. Hanane cite notamment la nouvelle Les oranges brûlées, inspirée par son intérêt pour l’histoire des immigrés nord-africains en France : « L’histoire des Algériens dans les années 1960 m’a toujours marquée, en particulier lors des répressions à Paris. À l’époque, il y avait aussi des Marocains et des Tunisiens. Je me suis souvent demandé pourquoi on ne parlait presque jamais d’eux, alors qu’ils ont sûrement été arrêtés eux aussi ». Elle évoque également l’origine de la première nouvelle du recueil, La ronde des dauphins : « Je voulais rendre un hommage à ma fille, à mon mari ». Derrière cette histoire se cache un tournant personnel. En 2013, après le décès de son mari et alors qu’elle était enceinte, elle quitte le Maroc pour revenir en France. « C’est à ce moment-là que j’ai été confrontée à une réalité plus sombre du pays, notamment les lois sur l’héritage et la succession, souvent injustes pour les femmes. J’avais besoin de repartir à zéro », nous partage-t-elle.
Le titre, Rouge Tangerine, est venu plus tard dans le processus : « Je voulais créer un fil rouge entre les nouvelles, une couleur symbolique qui les relie. Le rouge tangerine m’a semblé juste, à la fois vif, tranchant et chargé de sens », nous partage l'autrice.

Autrice et enseignante : le double métier d’une passionnée
« Mes deux passions ne sont pas si éloignées », affirme Hanane. Après avoir remporté, en 2011, un concours d’écriture internationale avec sa nouvelle Le Cadenas, et avoir sorti son premier album de jeunesse À vous de voter les enfants, elle combine son long travail d’écriture avec son métier d’enseignante. Elle explique : « On me dit souvent que ce sont deux univers différents, mais il y a toujours un regard sociologique commun aux deux ». De retour en France, elle reprend ses études et réussit le concours pour devenir enseignante « cela m’a demandé beaucoup de réflexion. Je me suis demandé quel métier je pouvais exercer tout en suivant ma fille, et le métier de maîtresse m’est rapidement venu ».
Son message aux lecteurs de Lepetitjournal.com
La rédaction lui a proposé de s’adresser à vous : « Je souhaite d’abord inviter les lecteurs à se questionner sur ce qu’ils feraient dans les situations décrites, tout en leur ouvrant une fenêtre sur le Maroc, qui est parfois au cœur de mes histoires. Je sais qu’il y a beaucoup d’étudiants qui partent en Erasmus ou en échange, et qui découvrent d’autres cultures. Ma nouvelle Le Cadenas peut, par exemple, leur offrir un éclairage sur le déroulement des élections, un souvenir fort pour moi, qui ai voté au Maroc en tant que citoyenne. Ce lien direct avec la citoyenneté est souvent méconnu des expatriés sans nationalité marocaine. Au final, mon souhait est surtout de les faire réfléchir, de les interpeller sur leurs choix et réactions face à ces histoires. C’est là que réside, selon moi, la réussite du récit ».
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