La Neue Nationalgalerie présente l’œuvre de Lygia Clark (1920-1988), artiste brésilienne majeure du second 20e siècle, et précurseure qui interrogea sa carrière durant les statuts de l’œuvre, de l'artiste et du public, tout en cherchant à dépasser la primauté de la vue dans notre perception de l'art. Car, face à l’œuvre de Lygia Clark, pas question de rester simple observant, tant ses créations s'adressent à l'ensemble de nos sens. Dans le grand hall de la Neue Nationalgalerie, l'art ne pourra survenir qu'à une seule condition : la participation des visiteurs.


S'il la considère comme l'une des artistes les plus importantes de la deuxième moitié du 20e siècle, force est de constater que Lygia Clark est aujourd'hui encore largement ignorée en Allemagne, déplore Klaus Biensebach, le directeur de la Neue Nationalgalerie. La grande rétrospective que consacre le musée à l'artiste brésilienne cherche donc à pallier cette situation, en exposant plus de 120 de ses œuvres dans un parcours chronologique, allant de la fin de la décennie 1940 jusqu'aux années 1980.
Un fil rouge, l'expérimentation
De l'abstraction cubiste des débuts de la carrière artistique de Lygia Clark, on passe rapidement à l'expérimentation géométrique, dans la lignée de l'Art Concret qui déboule au Brésil au début des années 1950, accompagnant le processus de démocratisation du pays. Jusqu'à ce que l'artiste découvre ce qu'elle appellera la « ligne organique », une ligne qui s'émancipe du cadre, qui rompt la limite entre l'image et l'espace environnant. Avec cette expérimentation théorique, la place que prend l’œuvre dans l'espace n'est plus accidentelle mais réfléchie, et devient donc une partie de l'art lui-même.

Cette nouvelle approche est confirmée en 1959 lorsque Lygia Clark rejoint le Neo Concretismo, mouvement avant-gardiste brésilien fondé à Rio de Janeiro, qui reproche à l'Art Concret son dogmatisme et considère plutôt les œuvres comme des phénomènes vivants. La série de Bichos, qui signifie « créature » ou « petit animal », est en ce sens emblématique. Ces petites structures faites de plaques de métal géométriques reliées par des joints peuvent être manipulées par les visiteurs, et c'est d'ailleurs la manière privilégiée de les apprécier. Pour Lygia Clark, l'art ne se niche plus dans la simple observation de ces sculptures, mais dans l'interaction entre l'objet et la personne qui le saisit et le manipule, et l'expérience sensorielle qui en découle.
C'est d'ailleurs l'une des raisons principales qui explique la renommée internationale de Lygia Clark : elle est l'une des premières à avoir dépassé cette primauté de la vision sur nos autres sens dans notre appréciation de l'art.
Spécialement pour l'exposition, de nombreuses répliques des Bichos ont été créées pour que les visiteurs puissent expérimenter l'art de Lygia Clark. Le tabou du toucher au musée est ici dépassé, puisque c'est précisément par l'expérience sensorielle qu'il nous faut appréhender son œuvre.
Un itinéraire sensoriel
Mais le parcours expérimental et sensoriel que nous propose la Neue Nationalgalerie ne s'arrête pas là. Juste après les Bichos, une table blanche sur laquelle trônent des ciseaux et des feuilles de papier blanc attend les visiteurs. Nous voici face à Caminhando (1963). L'instruction est simple : les visiteurs sont invités à découper une bande de Möbius dans du papier. A l'époque, c'est néanmoins l'une des premières fois où le public est celui par qui l'art devient possible. Pour Lygia Clark, c'est un nouveau tournant qui vise à mettre fin à la dichotomie entre l’œuvre et le public.
Les Objetos Sensoriais (« Objets sensoriels ») nous emmènent encore plus loin. De multiples gants à enfiler (Luvas Sensoriais, 1966), un livre dont les pages sont des pochettes remplies d'eau ou de coquillages (Livro sensorial, 1966), ou encore des masques colorés contenant différentes odeurs (romarin, clou de girofle) et munis de dispositifs modifiant la vision (Máscaras Sensoriais, 1967)... Chaque artefact nous invite à engager notre corps et à se concentrer sur notre ressenti. Les objets et matériaux utilisés étant ceux du quotidien, la valeur de l'art ne se trouve pas en eux, mais dans nos sensations lorsque nous les manipulons.

A partir de 1976, Lygia Clark utilisera d'ailleurs ses Objetos Sensoriais comme outils thérapeutiques. Formée à la psychanalyse à Paris, elle organise des séances d'une heure avec chacun de ses patients, lors desquelles elle dispose les objets sur différentes parties de leur corps. L'objectif est alors que ses patients changent leur perception de leur corps, et se reconnectent avec leurs peurs réprimées, leurs traumas, leurs désirs... Lygia Clark était convaincue que faire l'expérience physique de l'art produit un effet psychologique thérapeutique.
Des performances radicales qui forment un corps collectif
La suite de l'exposition nous emmène sur les traces de Lygia Clark à Paris, où elle devient professeure à la Sorbonne pendant quatre ans (1972-1976). Elle transforme le Centre Saint-Charles en laboratoire destiné à accueillir ses expérimentations artistiques, avec le concours de ses étudiants qui participent aux performances collectives qu'elle imagine.
Quelques-unes d'entre elles sont reproduites certains jours à la Neue Nationalgalerie, comme Baba Antropofágica (1969), lors de laquelle des performateurs déroulent de leur bouche des fils trempés de salive qu'ils déposent ensuite sur une personne allongée au sol.
Dans Túnel (1968), deux personnes se glissent à chaque extrémité d'un boyau de tissu beige, et tentent de le traverser en se contorsionnant au sol. La performance se veut métaphore de la naissance, et Clark avait pris l'habitude d'ouvrir des trous dans le tunnel à l'aide de ciseaux, pour favoriser la respiration des performateurs, leur accordant ainsi une aide extérieure qu'elle associait également au processus de naissance.
L'ensemble des performances imaginées par Lygia Clark visait à l'émergence d'un collectif sensoriel, qu'elle appelait Corpo Coletivo. Elle-même s'en exclut cependant, se contentant de donner l'instruction qui guide la performance. Car c'est là une autre des nombreuses particularités de Lygia Clark : elle refusa souvent le qualificatif d'artiste, et souhaitait se détacher de la toute puissance associée à cette figure, privilégiant l'interaction entre l’œuvre et le public.

C'est tout le pari que s'est proposé de relever la Neue Nationalgalerie avec cette rétrospective : que l'interaction avec les œuvres de Lygia Clark permette aux visiteurs de ressentir l'art, en engageant l'entièreté de leurs corps.
La rétrospective sera visible jusqu'au 12 octobre, dans le grand hall de la Neue Nationalgalerie.
Deux fois par semaine, les jeudis à 17h30 et les dimanches à midi, différentes performances de Lygia Clark seront mises en scène dans l'exposition.
Un code couleur a été mis en place pour indiquer aux visiteurs avec quelles œuvres ils et elles peuvent interagir.
Pour recevoir gratuitement notre newsletter, inscrivez-vous en cliquant sur l’icône enveloppe en haut de la page !
Pour nous suivre sur Facebook, Twitter, LinkedIn et Instagram.